Valoriser son entreprise au-delà des chiffres
Points de vue d’expert | 5 juillet 2015
Que vous projetiez ou non de céder votre activité, d’investir sous forme de prise de participations ou de lever des fonds, etc., la question de la valeur de votre entreprise ou future acquisition s’est probablement posée.
L’approche traditionnelle consiste à consulter un spécialiste de l’évaluation financière, qui effectuera des opérations aux consonances plus ou moins barbares :
- La méthode de l’ANCC (actif net comptable corrigé), plutôt utilisée côté vendeur, qui consiste à reconnaître et mesurer le patrimoine créé
- La méthode des DCF (discounted cash flows), souvent privilégiée par les acheteurs, qui revient à considérer la génération de flux futurs de trésorerie grâce à des hypothèses de croissance avec actualisation
- La méthode des multiples enfin, qui permet de calculer la valeur sur la base de comparaisons sectorielles, pour arriver à un multiple de l’EBITDA ou du résultat net. L’entreprise vaudra ainsi par exemple 5 ou 6 fois son EBITDA, ou 10 à 11 fois son résultat net, etc.
Leur point commun ? Ces approches sont essentiellement fondées sur l’analyse d’éléments comptables et financiers, négligeant ainsi – même si la méthode des DCF le fait de manière non explicite et souvent lacunaire – l’analyse des risques liés au capital immatériel des entreprises.
Le capital immatériel : un autre éclairage de la valeur des entreprises au-delà des chiffres
Prenons le cas de deux entreprises de même taille, œuvrant dans le même secteur d’activité, qui présentent des résultats financiers approchants.
L’une fait état d’une gouvernance autocratique centrée autour d’un homme-clé, d’une politique salariale axée sur l’économie et d’un fort turnover des équipes. Pas de prise en compte de l’environnement ni de système de veille, considérés comme accessoires et superflus. Ses marges, élevées bien qu’en recul progressif, sont presque totalement absorbées par ses actionnaires, ce qui en fait a priori un excellent produit d’investissement. Mais que se passera-t-il lors de la sortie du dirigeant qui portait l’organisation ? Ou si une évolution de réglementation lui imposait une mise en conformité rapide de tous ses équipements ? Etc.
L’autre a mis en place une gouvernance participative qui lui permet de répartir et transmettre les savoirs. Elle a impulsé la création d’une cellule d’innovation pour anticiper les besoins de ses clients, et embauché à temps plein un collaborateur en charge d’assurer une veille législative, économique et concurrentielle. Elle vient de déménager dans des bureaux BBC (Bâtiment Basse Consommation). Son résultat net est grevé par sa politique salariale et par les nombreux investissements qu’elle met en œuvre, mais ne vaut-elle pas plus que la première ?
En effet, au-delà de ses immobilisations – outils de travail, logiciels, machines… –, le patrimoine d’une entreprise repose en grande partie sur :
- Les compétences, l’expérience et la personnalité des hommes qui la composent
- La somme des savoirs acquis et le potentiel d’innovation
- La fiabilité et la pérennité de son système d’information
- La solidité et l’impact de sa marque
- Sa politique de gestion de la relation-clients
…et sa capacité à créer de la valeur future sur son aptitude à pérenniser et développer son patrimoine, donc à :
- Mettre en place une gouvernance agile qui favorise la pérennité de la stratégie, la circulation des savoirs et l’évolution professionnelle
- Assurer le bien-être et la fidélité de ses collaborateurs
- Mesurer régulièrement la satisfaction de ses clients
- Créer du savoir à travers une démarche de R&D, et le protéger grâce à des outils et procédures adaptés (licence, archivage numérique…)
- Se doter d’un système d’intelligence économique et de prospective efficace afin d’anticiper les évolutions socio-économiques, technologiques et réglementaires
- Investir pour s’adapter à ces évolutions et maintenir sa performance
… Autant d’éléments qui n’apparaissent pas (encore…) dans le bilan.
L’importance de la valeur immatérielle est largement sous-estimée
Un rapport de la banque Mondiale en 2011 indiquait que 82% de la valeur de l’économie française était immatérielle ; le ministère de l’Economie et des Finances que deux tiers des investissements faits en France en 2013 portaient sur l’immatériel. Le cabinet de conseil en finance responsable Goodwill Management estime quant à lui que jusqu’à 80% de la valeur des entreprises est immatérielle.
Or, le travail des évaluateurs d’entreprise se décompose trop souvent comme suit : 20% du temps seulement est passé sur le diagnostic des éléments qualitatifs (donc actifs immatériels) qui sont au fondement la valeur, dans des démarches peu structurées, quand 80% du temps d’intervention est consacré à l’analyse des chiffres, la mise en œuvre de l’évaluation technique à base de tableurs et autres logiciels. Il va falloir revenir à plus de cohérence…
Comment évaluer la richesse créée par son entreprise « hors bilan » ?
Il est difficile de financiariser la valeur immatérielle des organisations, faite de qualitatif plus que de quantitatif. Il est en revanche possible d’adopter une approche inverse centrée sur la mesure de la maîtrise des risques liés à ces facteurs de production de valeur. En effet, il y a un lien extrêmement fort entre la maîtrise des risques et la valeur de l’entreprise.
Par exemple, la maîtrise du risque de non-conformité permet de limiter le risque de mécontentement, donc de perte de clients, de mise en conformité judiciaire le cas échéant, etc. Sans parler bien-sûr des charges induites…
De même, maîtriser les risques de fuite des compétences en adoptant une démarche de fidélisation des collaborateurs-clés permet de conforter la richesse humaine, sans compter des économies non négligeables liées au turnover : l’intégration et la formation, la perte de qualité le temps du démarrage, la perte de relation-client le cas échéant.
Nous pourrions multiplier ces exemples qui témoignent également du lien étroit entre valeur et démarches de qualité. Qu’elles soient à périmètre restreint ou qu’elles participent d’une approche globale comme l’ISO 26000, ces dernières constituent un exercice porteur qui impose de dresser un état des lieux des risques inhérents à son activité et sa gestion, et de construire un plan d’action constructif, ou a minima de formaliser et examiner les bonnes pratiques déjà en cours.
En bref, plus une entreprise maîtrise ses risques, plus elle valorise ses actifs et sécurise sa capacité à créer de la valeur dans le futur en pérennisant les flux pris en compte dans les méthodes d’évaluation traditionnelles. Il s’agit donc de pallier les insuffisances de ces méthodes purement financières en plaçant le diagnostic des risques, parent pauvre de l’évaluation, au cœur de cette dernière.
Concrètement, le diagnostic des risques implique de passer en revue l’entreprise dans toutes ses dimensions :
- La clientèle : est-elle volatile ? en développement ? Les clients sont-ils solvables et bon payeurs ? Les enquêtes-satisfactions sont-elles positives ?…
- L’humain : les dirigeants ont-ils une vision formalisée par un plan d’action ? Quel est le niveau de maîtrise technique de l’équipe ? Quel est le poids de la « technostructure » ? Celui des équipes productives ? Quel est le taux de turnover ? D’absentéisme ? …
- L’organisation : y a-t-il des process commerciaux, financiers, RH, d’achat, de sécurité, etc. formalisés ? Sont-ils respectés ?
- La marque : est-elle connue (citations dans la presse, trafic sur le site internet…), déposée et protégée ? Bénéficie-t-elle d’une bonne réputation ?
- Le contexte macro : le secteur est-il attractif ? La demande est-elle en croissance ? Fait-il l’objet de menaces réglementaires ? …
- Etc. jusqu’à la santé financière enfin
L’objectif est d’arriver à un scoring de la couverture du risque, évalué de 0 à 20 grâce à des questionnaires ou à la comparaison d’indicateurs sectoriels. La note globale obtenue est ensuite intégrée à l’évaluation financière (taux de risque, multiple…), venant ainsi la majorer ou la dégrader.
Une approche différente en fonction du cycle de vie de l’entreprise
Comme en matière d’analyse financière, l’approche est nécessairement différente selon qu’il s’agit de valoriser une entreprise mature ou une startup.
Dans le premier cas, on couple le scoring de couverture des risques classiques à la méthode des multiples d’EBITDA par exemple. Plus grande est la maîtrise des risques, plus les flux de bénéfices sont pérennisés, plus le multiple est élevé.
Dans le cas des startups en revanche : pas de recul possible sur la culture d’entreprise ni la fidélité de la clientèle ; le turnover des équipes est « normal » et ne préjuge rien. Il s’agit alors d’analyser le business plan dans un travail de perspective, voire de prospective, pour valider la crédibilité des projections financières (toujours optimistes) et évaluer la valeur potentielle à 5 ans, en couplant à la méthode des DCF la mesure de la maîtrise de risques spécifiques.
Ces derniers portent pour beaucoup sur :
- le ou les hommes-clé(s), (co)fondateur(s) à l’origine du projet : ont-ils une vision ou se lancent-ils par hasard dans leur activité ? Y a-t-il des sources de friction potentielles qui pourraient entraîner la dissolution de l’entreprise ? Réussites antérieures ? Etc.
- la pertinence du projet : dépend-il d’un effet de mode ? Constitue-t-il une innovation de rupture ? Vient-il répondre à un besoin non encore pris en compte ? Etc.
La valorisation du capital immatériel : un atout pour votre entreprise
Cette démarche commence à être reconnue, auprès des assureurs en tête, afin de justifier une réduction de la prime de risque. La valorisation du capital immatériel à travers l’approche des risques constitue également un atout à l’appui des recherches de fonds auprès d’investisseurs et des banques : elle complète utilement la valorisation financière en donnant une vision claire de la stratégie et des moyens mis en œuvre par l’organisation pour sécuriser ses bénéfices futurs. Elle permet aussi de se démarquer : les entreprises sont encore peu nombreuses à adopter cette démarche !