Le management en période de crise : comment gérer son entité pour traverser au mieux la crise actuelle ?
Points de vue d’expert | 5 novembre 2020
Dans ce contexte, peu d’entités étaient préparées à la gestion de crise et aux particularités du management en temps de crise. Il apparaît cependant primordial pour le management de s’adapter à la situation de crise, pour éviter de commettre des erreurs qui pourraient mettre en péril la pérennité de l’entité, mais aussi pour permettre de tirer parti d’éventuelles opportunités.
Peu d’entités ont une culture de l’anticipation des crises : beaucoup se sont retrouvées dépourvues face à la crise actuelle
Les particularités de la crise actuelle, conduisant à une incertitude totale
La crise que nous traversons actuellement possède tous les attributs classiques d’une crise : elle s’est caractérisée par sa manifestation brutale et par une forte intensité, ainsi que par des conséquences immédiates néfastes.
Comme le souligne Edgar Morin dans son article Pour une crisologie [2], alors qu’à « l’origine, Krisis signifie décision : c’est le moment décisif, dans l’évolution d’un processus incertain, qui permet le diagnostic, […] aujourd’hui crise signifie indécision. C’est le moment où, en même temps qu’une perturbation, surgissent les incertitudes ». Le management en période de crise, c’est savoir manager une entité, des équipes, par des valeurs avec des règles fortes, dans une période pleine d’incertitudes et de risques.
Par ailleurs, la crise actuelle nous fait non seulement naviguer en eaux troubles et incertaines, mais elle bouleverse également des pans entiers de la vie des organisations. Elle a des répercussions à court, moyen et long terme sur le plan sanitaire, social, économique, professionnel, mais elle s’invite également dans l’intimité des personnes, dans les familles, l’éducation, la santé de chacun. De nombreux salariés, qui se sont retrouvés en télétravail du jour au lendemain, ont dû, dans l’urgence, allier aux exigences professionnelles leurs problématiques personnelles (entourage proche vulnérable, enfants à domicile, école à la maison, etc.).
En période de crise, le manager se trouve confronté à tous ces aspects, trop souvent dans des organisations peu préparées à faire face à de tels bouleversements.
La fragilité du management en temps de crise, révélée par la crise Covid-19
Faire vivre une organisation dans un milieu extrêmement incertain n’est pas aisé. Ça l’est encore moins quand l’organisation en question n’a pas encore su adopter une culture d’anticipation des risques et de gestion de crise.
Parmi les organisations de petite taille, et le tissu associatif français est majoritairement constitué de petites entités, peu se sont dotées avant la crise d’un plan de continuité d’activité leur permettant d’anticiper et de faire face aux différents risques. Ainsi, l’adaptation de l’activité aux conséquences actuelles de la crise s’est souvent faite dans l’urgence et la précipitation, au gré notamment des différentes annonces gouvernementales rythmant cette crise.
Par conséquent, dans l’urgence, les associations ont fait face et se sont réorganisées. Dans la deuxième enquête réalisée par Recherches & Solidarités entre le 18 mai et le 15 juin 2020 [3], 57% des dirigeants d’associations ont indiqué avoir revu leur fonctionnement (outils numériques pour travailler à distance, mise en place de nouvelles pratiques d’organisation et de gouvernance, réadaptation des relations avec les parties prenantes, etc.).
Ainsi, la première leçon à tirer de cette crise en matière de management, c’est que toute entité doit anticiper la maîtrise des risques auxquels elle peut être exposée, et identifier les mesures à prendre. Sur une crise de longue période, comme celle que nous vivons, les apprentissages liés au début de celle-ci doivent être mis à profit sans attendre.
Les différentes opérations de maîtrise des risques doivent être partagées avec les salariés, et largement communiquées à tous les intervenants potentiels.
Sinon, toute tentative de réorganisation menée à la hâte risque d’être inefficace, voire pénalisante.
Un management à revoir en fonction de nouveaux impératifs
Les équipes de direction et le management de l’entité en temps de crise
Dans ce contexte, il est indispensable de formuler, au sein d’un plan de continuité d’activité, différentes hypothèses concernant la crise traversée (reconfinement, arrêt partiel de l’activité, reprise de l’activité…), pour pouvoir anticiper des réponses adéquates de l’organisation en fonction des situations dans lesquelles l’entité pourrait se retrouver.
Il s’agirait alors de construire a minima une matrice, indiquant pour chaque scénario ses conséquences éventuelles sur tous les plans (RH, organisation, activité de l’entité, impacts sur les usagers / bénévoles, etc.) ainsi que les réponses que l’entité peut mettre en place, dans le but d’anticiper au mieux.
Un management bien ancré dans des problématiques de gestion des risques, à l’aune de cette cartographie des impacts éventuels de la crise, est à privilégier.
Par ailleurs, pour faire face à l’environnement incertain actuel, il est important de réunir fréquemment une équipe de direction resserrée pour prendre des décisions rapides permettant de s’adapter de la façon la plus agile possible aux fluctuations des situations rencontrées. Ces décisions prises rapidement ne peuvent l’être à bon escient que si le travail de gestion et d’anticipation des différentes situations a bien été mené en amont. Ce paradoxe entre rapidité de la prise de décision et préparation en amont de ces mêmes décisions rend le management en période de crise très complexe.
Le management des équipes dans une situation dégradée : comment faire ?
La crise actuelle a mis à l’épreuve les modes de management traditionnels, notamment les liens usuels avec les équipes, salariées ou bénévoles.
Du jour au lendemain, de nouvelles habitudes ont dû être prises, notamment avec le télétravail, ou avec les mesures de sécurité et d’hygiène au travail mises en place pour ceux se déplaçant sur site ou accueillant bénévoles et usagers. Les managers ont été conduits à gérer des équipes dans des situations dégradées, complètement différentes de celles connues précédemment.
Il n’existe pas de recettes universelles pour gérer ses équipes dans de telles situations. Cependant, s’adapter à l’environnement actuel exige de bien cerner les particularités de ses équipes, de son activité et de son organisation pour pouvoir adapter les modalités de travail.
Remettre à jour ou mettre en place un SWOT (diagnostic des Forces, Faiblesses, Opportunités et Menaces) de son organisation et de ses équipes devient dans ce contexte primordial. Cela permettra aux managers de prendre du recul par rapport à l’organisation et aux équipes actuelles, pour confronter leurs forces et faiblesses aux menaces et opportunités de la crise actuelle. En effet, il n’est pas possible de prendre des décisions de management pour faire face à une crise sans connaître et prendre en compte les forces et faiblesses de ses équipes.
La qualité de la communication en temps de crise est un élément majeur. Dans un contexte changeant impliquant des réponses évolutives, elle doit être rapide et efficace, à même d’expliquer, de convaincre, de rassurer, de renforcer la cohésion et l’adhésion de tous.
Par ailleurs, face au travail à distance et aux difficultés ressenties par de nombreux salariés / parties prenantes, il est important de bien mettre en avant des valeurs communes, qui permettent de souligner une culture partagée et de préserver la cohésion du groupe. Il est en effet difficile de sauvegarder les liens, l’esprit d’équipe et le sentiment d’appartenance lorsque tous les salariés se retrouvent à distance.
Il convient d’encourager la mise en place de moments d’échange et de convivialité à distance : des visios déjeuners ou pauses cafés, permettant aux salariés d’avoir des échanges informels, sont plus que nécessaires pour sauvegarder un esprit de groupe et déceler d’éventuelles personnes en souffrance. Car si le télétravail nous a permis la plupart du temps d’atteindre nos objectifs professionnels, il a parfois mis à mal ces liens informels qui nous permettent d’avoir une intelligence collective et de porter attention à l’autre. Un manager, pratiquant la politique de la porte ouverte ou faisant le tour des bureaux pour échanger avec chacun, ne peut plus le faire de façon informelle à distance. Nombreux sont alors les salariés qui n’osent pas appeler ou déranger à distance, et qui se retrouvent seuls face à certaines problématiques, à la fois professionnelles et personnelles. Pour pallier ces difficultés, mettre en place des moments de convivialité à distance apparaît primordial.
Le management français étant traditionnellement assez hiérarchique et fondé sur le contrôle, la crise actuelle amène à revoir ce modèle. Travailler avec des salariés ou bénévoles à distance implique d’asseoir cette relation autour d’une confiance réciproque et partagée. Plus que jamais, le management par objectifs doit se faire sur des critères qualitatifs et non quantitatifs. Les échanges sources de créativité et d’intelligence collective doivent être préservées.
Enfin, la crise actuelle a conduit, du fait du télétravail à grande échelle, à brouiller quelque peu la séparation entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Chaque salarié a réagi de façon très différente à cette crise en fonction de problématiques personnelles fortes (personnes vulnérables dans l’entourage, enfants qui pouvaient être scolarisés ou non en fonction des mesures sanitaires prises localement, etc.). Le management actuel se doit donc de renouveler un message de bienveillance aux équipes. Car, plus que jamais, les équipes ont besoin d’empathie, qui doit s’exprimer à la fois sur un terrain personnel et professionnel. Ainsi, il est primordial que le manager en temps de crise soit à l’écoute de ses salariés et attentif aux risques psycho-sociaux émergents.
A l’aune de cette crise inédite, un nouveau type de management à distance, plus présent et à l’écoute des équipes, est donc à réinventer, pour permettre d’assurer une cohésion des parties prenantes et de sauvegarder l’intelligence collective, source de créativité et d’innovation. De plus, le management, pour faire face à un environnement incertain, se doit de mettre en place une véritable culture de gestion des risques, permettant d’anticiper les réponses agiles à donner aux différentes situations se présentant. Car rien n’est plus difficile que de conduire un bateau en pleine tempête.
[1] Enquête réalisée par Recherches & Solidarités du 20 mars au 7 avril 2020 auprès de 20 000 responsables associatifs. Cette enquête du Mouvement associatif et du Réseau National des Maisons des Associations a été construite avec l’appui de Recherches & Solidarités,
en lien avec la Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative du Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse.
[2] Morin Edgar, « Pour une crisologie », in Communications, 25, 1976, La notion de crise, pp.149-163.
[3] Enquête réalisée par Recherches & Solidarités du 18 mai au 15 juin 2020 auprès de 20 000 responsables associatifs. Cette enquête du Mouvement associatif et du RNMA a été construite avec l’appui de Recherches & Solidarités, en lien avec la Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative du Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse et en partenariat avec le CNEA et France Générosités.
Céline Chicot, Associée Expert-comptable GMBA
Article paru dans Jurisassociations.
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