Assurance chômage : des économies immédiates mais pari risqué pour l’avenir

Points de vue d’expert | 6 mars 2025

Une nouvelle salve de réformes est intervenue en fin d’année 2024 en matière d’assurance chômage et d’emploi des seniors. Les implications ne sont pas neutres, que ce soit pour l’Unédic ou pour certaines catégories de la population.

L ’assurance chômage coûte cher à notre pays. Selon l’Unédic [1], les dépenses liées à l’assurance chômage, en France, auraient représenté 42,4 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 5,7 % par rapport à 2022. Néanmoins, la refonte de l’assurance chômage amorcée en 2019 [2], enrichie par deux révisions en 2021 [3]
et modifiée en 2022 [4], ainsi que les évolutions des contributions à la dette du régime laissent envisager une réduction du déficit net des comptes de l’Unédic, qui passerait de 60,7 milliards d’euros en 2022 à 38,6 milliards en 2027.

Comme indiqué dans notre article de juin 2024 [5], l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, avait prévenu vouloir « rouvrir le chantier chômage » [6] pour en durcir encore les règles après deux réformes controversées en 2019 et 2023. Ainsi, les partenaires sociaux ont été invités à négocier un avenant à la convention du 10 novembre 2023 relative à l’assurance chômage avant la fin de l’année 2024 afin d’instaurer un cadre clair et stabilisé pour un dispositif que le gouvernement considère comme essentiel à sa durabilité.

Pour éviter de se voir imposer, une nouvelle fois, une réforme stricte et unilatérale par le gouvernement, les partenaires sociaux ont donc privilégié le dialogue social pour aboutir à la signature de plusieurs accords le 14 novembre dernier. Pour en mesurer pleinement la portée, il est indispensable d’analyser l’accord concernant l’assurance chômage [7] parallèlement à celui concernant l’emploi des seniors [8] signé le même jour.

Les nouveautés de l’assurance chômage : entre avancées et reculs

Parmi les évolutions notables, on peut signaler une modification des conditions d’indemnisation. En effet, l’accord du 14 novembre 2024 relatif à l’assurance chômage prévoit notamment :

  • une indemnisation passant de 6 à 5 mois sur les 24 derniers mois pour les travailleurs saisonniers ;
  • une prise en compte des périodes de travail, pour les allocataires seniors, élargie à 36 mois (contre 24 mois auparavant).

Ces mesures s’inscrivent dans la continuité de l’assouplissement des durées minimales de travail décidé lors des réformes de 2019 et 2021 et qui a, d’après la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) [9], un impact positif sur la probabilité de retrouver un emploi rapidement suite à la perte d’un contrat de plus d’un mois, surtout pour les femmes. Toutefois, pour les plus de 25 ans, cet effet se traduit principalement par des emplois peu durables.


1. Unédic, «Situation financière de l’assurance chômage pour 2024-2027», 20 févr. 2024.; 2. Décr. nos 2019-796 et 2019-797 du 26 juill. 2019, JO du 28, JA 2019, no 604, p. 41, étude D. Castel.; 3. Décr. no 2021-1251 du 29 sept. 2021, JO du 30, JA 2021, no 647, p. 7, obs. D. Castel; arr. du 18 nov. 2021, JO du 20, texte no 16.; 4. L. no 2022-1598 du 21 déc. 2022, JO du 22, JA 2023, no 681, p. 40, étude C.-E. Le Roy.; 5. JA 2024, no 700, p. 40, étude C.-E. Le Roy.; 6.Allocution au journal télévisé de 20 heures de TF1, 27 mars 2024.; 7. Avenant du 14 nov. 2024 au protocole d’accord du 10 nov. 2023 relatif à l’assurance chômage.; 8. Accord national interprofessionnel du 14 nov. 2024 en faveur de l’emploi des salariés expérimentés.; 9. Dares, «Rapport intermédiaire du comité d’évaluation de la réforme de l’assurance chômage initiée en 2019», févr. 2024.

Pour éviter de se voir imposer, une nouvelle fois, une réforme stricte et unilatérale par le gouvernement, les partenaires sociaux ont privilégié le dialogue social pour aboutir à la signature de plusieurs accords le 14 novembre dernier

Un coup de frein pour les entrepreneurs

Le cumul de l’allocation chômage avec les revenus d’une activité créée ou reprise est désormais plafonné à 60 %. Les entrepreneurs risquent ainsi d’être pénalisés alors qu’ils jouent un rôle crucial dans le dynamisme économique. Cette restriction, qui pourrait freiner l’essor de l’entrepreneuriat, illustre une approche à court terme, alors que le contexte économique qui continue de se dégrader nécessiterait un soutien plus accru aux créateurs d’emplois.

Mesures en faveur des seniors : une double lecture

Les durées maximales d’indemnisation, après application du coefficient de 0,75, sont fixées à 22,5 mois pour les allocataires de 55 à 56 ans, et 27 mois pour les 57 ans et plus. Par ailleurs, l’âge à partir duquel la dégressivité de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) ne s’applique plus est abaissé à 55 ans (contre 57 ans auparavant). Bien que ces ajustements favorisent une meilleure prise en compte des seniors, ils s’accompagnent de restrictions, telles que le recul progressif de l’âge permettant de bénéficier de l’allocation jusqu’à la retraite, pour atteindre, à terme, 64 ans.

Un nouveau cadre pour l’emploi des seniors : entre opportunités et limites

Obligation de négociation et nouveaux dispositifs

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 14 novembre 2024 en faveur de l’emploi des salariés expérimentés introduit plusieurs mesures ambitieuses. Pour soutenir l’accès et le maintien dans l’emploi des seniors, les entreprises de plus de 300 salariés devront :

  • engager une négociation triennale sur des thèmes comme le recrutement des seniors, la transmission des savoirs et la prévention de l’usure professionnelle ;
  • élaborer un plan d’action, en l’absence d’accord, après consultation des représentants du personnel.
  • Ces accords, dont l’effet reste incertain sur les comptes de l’Unédic, interviennent dans des contextes socio-économique et politique compliqués.

Deux nouveaux entretiens professionnels viennent jalonner la carrière : l’un à 45 ans pour anticiper l’évolution professionnelle et prévenir les risques d’usure, et l’autre en fin de carrière pour accompagner la transition vers la retraite.

Des dispositifs incitatifs, mais limités

La retraite progressive accessible dès 60 ans, conditionnée à l’accord de l’employeur, est un gain notable. De même, l’expérimentation du contrat à durée indéterminée (CDI) à destination des seniors [10], ou « contrat de valorisation de l’expérience »[11], vise à faciliter l’embauche des seniors, mais son cadre restrictif en limite l’efficacité.
Ces mesures amorcent un changement culturel dans les entreprises, mais leur impact risque d’être limité sans une mise en œuvre ambitieuse et un accompagnement des réformes récentes sur les retraites.


10. C. trav., art. D. 1242-2 et D. 1242-7.; 11. Le Parisien, «Retraite progressive, contrat de “valorisation de l’expérience”… Ce qui va changer pour les seniors», 14 nov. 2024.

Autres évolutions notables

Outre les changements majeurs relatifs aux conditions d’indemnisation et à l’emploi des seniors, d’autres dispositions méritent d’être soulignées :

  • calcul des salaires étrangers : un coefficient spécifique sera désormais appliqué aux salaires perçus à l’étranger, correspondant au rapport entre le salaire moyen en France et celui de l’État d’emploi concerné, impactant ainsi les demandeurs d’emploi ayant un statut de travailleur transfrontalier ;
  • extension de l’éligibilité : l’assurance chômage s’ouvre désormais aux anciens détenus ayant travaillé sous contrat d’emploi pénitentiaire, élargissant ainsi la portée du dispositif ;
  • réduction de la contribution employeur : le taux de la contribution à l’assurance chômage payée par les employeurs diminue de 0,05 point, passant à 4 % à compter du 1er mai 2025 ;
  • versement mensuel des allocations : les indemnités chômage seront versées sur une base mensuelle fixe de 30 jours calendaires, quelle que soit la durée réelle du mois.

Cette dernière disposition s’inscrit dans une volonté de « simplification ». Néanmoins, elle entraînera mécaniquement une réduction des versements pour la majorité des demandeurs d’emploi. Ainsi, pour l’année 2025, ces derniers seront indemnisés 5 jours de moins qu’en 2024.

Une réforme budgétaire avant tout : des sacrifices inévitables

L’Unédic rappelle que cette réforme a pour principaux objectifs [12] :

  • d’ajuster certaines règles d’indemnisation pour mieux tenir compte de situations spécifiques sur le marché du travail ;
  • de simplifier et améliorer la lisibilité de la réglementation d’assurance chômage dans une logique d’équité ;
  • d’améliorer la compétitivité des entreprises au profit de l’emploi durable.

Mais l’objectif principal de cette réforme est avant tout de continuer à redresser les comptes de l’Unédic. Les économies envisagées reposent sur des réductions de droits, suscitant des critiques de la part des syndicats, notamment la CGT [13] et Solidaires, qui dénoncent une précarisation accrue.

Malgré des avancées sur certains points, les seniors, les entrepreneurs et les travailleurs transfrontaliers apparaissent comme les principaux perdants. Les syndicats, contraints au dialogue social, semblent avoir négligé les mutations profondes du marché du travail, comme l’essor de la mobilité transfrontalière et de l’entrepreneuriat. On peut se demander si, plus globalement, cette réforme ne sera pas un frein à la mobilité professionnelle et n’aura pas d’impact négatif sur la compétitivité des entreprises.


12. unedic.org > «Actualités»> «Négociations d’assurance chômage: un nouvel avenant soumis à signature», 15 nov. 2024.; 13. cgt.fr > «Actualités» > «Assurance chômage: la poursuite du saccage après la réforme des retraites», 12 nov. 2024.

Conclusion : un équilibre encore fragile

Bien que ces accords soient présentés comme une victoire du dialogue social, ils reflètent une réalité plus complexe. Les négociations, menées dans un cadre contraint, n’ont pas permis d’apporter des réponses structurelles aux défis posés par l’emploi des seniors, le soutien aux entrepreneurs ou la mobilité transfrontalière.

En ce début d’année 2025, le système français d’assurance chômage devra prouver sa capacité à concilier efficacité économique et justice sociale. Cela passera par un dialogue social renouvelé et une politique davantage tournée vers l’avenir. Ces sujets, tout comme celui des retraites, seront fort probablement au cœur des préoccupations d’un nouveau gouvernement, des parlementaires, des syndicats et des Français.

L’avenant au protocole d’accord du 14 novembre 2024 et la convention d’assurance chômage du 10 novembre 2023, bien que signés par les organisations représentatives de salariés et d’employeurs ayant participé à la négociation, devront être agréés par le Premier ministre afin d’entrer en vigueur au 1er avril 2025. Rappelons qu’en raison des élections législatives anticipées de 2024, le gouvernement a été contraint de suspendre la réforme de l’assurance chômage. Depuis, les règles en vigueur ont été prolongées trois fois par décret [14].

Le véritable défi, pour les années à venir, sera donc d’adopter une vision qui conjugue efficacité économique et justice sociale. Dans un contexte politique marqué par des incertitudes, il est essentiel de proposer une politique tournée vers l’avenir, capable de répondre aux transformations profondes du marché du travail tout en instaurant une stabilité sociale durable.


14. Décr. no 2024-648 du 30 juin 2024, JO du 1er juill.; décr. no 2024-853 du30 juill. 2024, JO du 31; décr. no 2024-963 du 29 oct. 2024, JO du 30.

Charles-Emeric Le Roy, associé GMBA Walter Allinial. 

Article « social » Jurisassociations, n° 712 daté du 1er février 2025

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